L’exploration ethnobotanique peut comprendre bien des désagréments parmi lesquels le manque de confort n’est pas des moindres. Mais ce jour là, je travaille dans une de mes zones de prédilection, une de celles où le climat est chaud et humide et la végétation luxuriante, le Kerala dans le Sud de l’Inde. Et ce jour là, l’humidité bat son plein. Nous sommes en juin et la mousson est à son apogée. Il pleut à seaux depuis des jours. Mais il ne fait pas trop chaud. Nous sommes dans une maison traditionnelle, garnie de bois rouge et dont le sol est fait de ce revêtement spécial, contenant du ciment et de la bouse de vache et poli à la poudre de charbon. Il est d’un noir plus ou moins brillant et nuancé, très doux sous les pieds.
Mon hôte est un Brahmane, la caste spirituelle de la société hindoue. C’est un thérapeute qui a appris de son père les méthodes et la doctrine de la médecine ayurvédique. Nous discutons tranquillement assis sous sa véranda en buvant du thé au lait et en écoutant tomber la pluie dehors dont le bruit parvient parfois à couvrir notre conversation. Même les mainates se sont tus, abrités sous l’auvent du toit.
Je l’interroge sur une pratique célèbre de la médecine ayurvédique : la cure de rajeunissement. C’est un traitement qui a été transposé à notre époque de façon très édulcorée, mais elle a été pratiquée ici même dans la maison où je me trouve, par le père de mon interlocuteur. Elle a été progressivement abandonnée au profit d’une cure qui s’apparente maintenant à ce qui se pratique dans les spas en Occident et partout dans le monde : une sorte de thalasso anodine et dont les effets sont principalement l’amaigrissement du compte en banque des participants et aussi un peu de leurs bourrelets. Mais ce dont je parle avec cet homme, c’est d’une cure de rajeunissement véritable. De quelque chose qui s’apparente plus à la légende de Faust qu’aux bains de mer à Quiberon. Il me dit que cette cure nécessitait pas mal de moyens et que c’était réservé à des hommes plutôt riches, qu’elle durait environ trois mois au cours desquels ont plaçait le patient dans une maison construite spécialement dans un isolement total. Il subissait des lavements, des saignées et des purges et prenait des vomitifs. On lui faisait subir aussi un jeûne avec une réalimentation progressive et bien sûr il suivait un traitement compliqué à base de plantes médicinales.
Le fond de la méthode repose sur une conception alchimique universelle que ce soit en Occident ou en Orient. Il s’agit de mourir à son état usé, délabré et encrassé pour renaître réactivé et nettoyé. On assistait souvent à la perte totale des cheveux et des dents et ils repoussaient ensuite me dit-il. L’homme qui sortait de la cure n’avait plus grand chose à voir avec celui qui y était entré : il était mort vieux à une vie biologique et psychique qui tirait vers sa fin pour renaître jouvenceau à une autre pleine de nouvelles promesses.
— Cette cure a été abandonnée totalement maintenant ? dis-je à ce thérapeute qui s’exprime en Malayalam, ce qui nécessite bien sûr la présence d’un interprète.
— Oui, complètement. Ce n’est plus en accord avec l’esprit de l’époque.
— Qu’est-ce qu’il vous serait nécessaire aujourd’hui pour réactiver cette cure ? Imaginez que je veuille l’entreprendre.
Il a rit de bon cœur.
— Vous êtes déjà trop vieux.
J’ai accusé le coup, je n’avais que 56 ans après tout.
— Trop vieux? C’est quoi l’âge limite ?
— Pas plus de 50 ans. Après c’est trop risqué, les gens ne sont plus capables de supporter.
— Il y a des gens qui sont très en forme à plus 50 ans, dis-je en pensant à moi de façon présomptueuse, surtout à notre époque. Mais, bon. Imaginons que je vous amène un homme de 45 ans, qui ait les moyens et qui soit en bonne santé. Que vous faudrait-il pour lui faire entreprendre la cure ?
Il a rit de nouveau et il a dit quelque chose à mon interprète qui a rit aussi. Je crois bien qu’ils s’amusaient à mes dépends.
— Une bonne assurance, a-t-il répondu.
J’étais positivement fasciné par ce traitement (je le suis encore), une fois rentré en France muni d’ouvrages achetés à Trivandrum, je me suis lancé dans l’étude de la liste des plantes indiennes utilisées dans cette cure dans le but de trouver un fil conducteur. Je n’ai pas eu à chercher beaucoup pour trouver une corrélation entre les éléments de cette liste et ceux d’une autre liste : les plantes antidiabétiques.
Sur le moment, je suis resté assez perplexe, mais la corrélation était vraiment très forte : plus des trois quart des plantes utilisées dans la cure de rajeunissement étaient aussi des plantes utilisées pour traiter le diabète. Il y avait juste un petit problème : que pouvait bien représenter le diabète il y avait mille ans de ça, période de l’âge d’or de la pratique de la cure de jouvence? Certes, les thérapeutes de tout temps et de tous lieux ont goûté le sang et les urines des malades, mais j’avais du mal à croire qu’on pouvait définir alors ce que représente pour nous le diabète aujourd’hui. Et puis à force de lectures des applications de ces plantes, je me suis rendu compte que ce n’était pas de diabète à proprement parler dont il s’agissait, mais de complications du diabète.
Les diabétiques ont des problèmes qui ne sont pas dus à la glycémie élevée, du moins pas directement. Mais sur le long terme, le sucre trop concentré dans les tissus engendre une dégradation connue maintenant sous le nom de glycation.
Le sucre se fixe sur les protéines de l’organisme en permanence et ce d’autant plus vite que le sucre est en concentration élevée. Au cours du temps les protéines qui se renouvellent lentement comme celles du cerveau, de la partie interne de la peau ou du cartilage perdent de leur souplesse et de leur fonctionnalité. Les tissus vieillissent ! Et ils vieillissent d’autant plus vite que l’organisme est exposé longtemps à des concentrations élevées en sucre. Il y a donc une façon simple à défaut d’être facile, de rester jeune le plus longtemps possible : réduire drastiquement sa ration de sucres rapides et d’une façon générale, de tous les aliments à indice glycémique élevé (ceux qui élèvent beaucoup la glycémie après avoir été absorbés, comme le pain, par exemple).
Rester jeune, certes… Mais que faire si l’on est déjà vieux ? Vous n’avez aucune envie de grimper au cocotier, la cure du Dr. Faust, façon indienne n’est plus opérationnelle. Vous ne croyez pas aux théories alchimiques. Vous revenez d’une thalasso bien reposé, mais la peau toujours aussi flasque, le cheveu terne et la libido dans les chaussettes. Il reste la phyto.
Oui, oui… la phyto. On peut induire un retour en arrière de la glycation grâce à des produits de phytothérapie identifiés et tirés des données de la médecine millénaire de l’Inde. Si vous êtes bien attentifs et si vous vous manifestez sur ce blog, je vous donnerai peut-être la solution. En attendant, je vais me jeter une bière et manger une grosse barre de chocolat pour mon goûter. Ce soir je prendrait mon traitement. A plus tard…
Pouvoir consommer chocolat et confiture que réclame mon psychisme le soir sans « glyquer » mes protéines, super! Pouvoir même faire une petite marche arrière, re- super! Et comme je tiens à garder les dents qui me restent et mes cheveux ; et que je suis largement frappée par la limite d’âge, j’opterai bien pour ta solution plutôt que celle de ce vénérable brahmane.Alors? A quand la révélation? En attendant, je continue à mettre de la cannelle dans la compote de pommes et de façon plus savante, je stimule certaines sirtuines en complémentant avec du resvératrol.
Je ne crois pas qu’on puisse parler de « limite » d’âge. Franchement!… Mais si « l’éternité c’est long surtout vers la fin », alors l’immortalité ce doit être lassant bien avant, même en changeant souvent de marque de chocolat.