Un soir de janvier 1987, alors qu’il roule sur l’autoroute en direction de San Francisco, une idée folle germe dans la tête de Michael McCune : transplanter un système immunitaire humain dans une souris.
Pendant 5 ans, il a travaillé comme médecin au San Francisco General Hospital. Dans son service ont défilé des patients atteints du SIDA, décimés par des maladies opportunistes, leur système immunitaire ravagé par le HIV. Maintenant, il travaille comme postdoc en immunologie à l’Université de Stanford et passe le plus clair de sont temps à chercher à éclaircir le mystère de la maladie. Il a bien avancé dans ses travaux. Il a récemment découvert une étape dans le cycle du virus qui semble cruciale pour qu’il puisse acquérir la capacité d’infecter des cellules humaines. Pourtant, McCune n’est pas satisfait. Il pense que ses travaux vont le conduire dans une impasse. Les expériences dans des tubes à essais ne vont pas pouvoir lui dire ce qu’il se passe au sein du réseau compliqué des cellules immunitaires qui circulent dans les organismes des malades. Ils ne pourront lui dire comment le virus provoque de telles destructions massives des cellules T qui orchestrent la réponse immunitaire. Ce dont il a besoin, c’est d’un modèle animal, d’un système vivant chez lequel les attaques des virus pourraient être analysées complètement et ainsi, avec de la chance, combattues par des médicaments ou un vaccin.
Mais quel animal ? Seuls les chimpanzés peuvent être infectés par le virus humain du SIDA et encore, sans déclencher la maladie. De plus, cet animal pose d’énormes problèmes de coût et d’éthique.
L’idéal serait une souris, pense Mike, l’animal favori des laboratoires. Une créature petite, qui se reproduit rapidement et qui est facile à élever en grand nombre. Malheureusement, le système immunitaire des souris ne peut être atteint par le HIV et l’idée de McCune semble vouée à l’échec. Pour disposer d’un modèle possédant toutes les qualités requises, il faudrait créer un animal aussi fantastique que la mythique Chimère grecque.
Mais alors qu’il roule sur cette autoroute vide le long des collines assombries qui bordent l’Océan Pacifique, le dilemme se dissout lentement. Il se rappelle que d’autres scientifiques ont trouvé une souris mutante complètement dépourvue de défenses immunitaires et qui est donc capable d’accepter n’importe quel organisme étranger sans le rejeter. Pourquoi ne pas leur greffer un système immunitaire humain ? Pendant le reste de son trajet, McCune trace rapidement dans sa tête les grandes lignes du processus et commence à fantasmer sur tous les essais qu’il pourrait alors réaliser avec le HIV et des médicaments antiviraux expérimentaux. Peu après, il présente son idée à ses collègues et leur réaction n’est pas particulièrement encourageante. « En fait, m’a dit Mike plus tard, ils pensaient que c’était une idée débile ».
Les souris SCID (sigle signifiant « Severe Combined Immunodeficiency Disease ») possèdent une autre caractéristique intéressante que n’avait pas manqué de remarquer McCune : si elles étaient placées à l’air libre, elles mouraient presque toutes d’une maladie pulmonaire causée par un parasite, le Pneumocistis carinii, comme c’était le cas de beaucoup de malades du SIDA. Il y avait donc une analogie entre l’absence de système immunitaire de ces souris mutantes et la disparition de celui des malades humains. L’idée de McCune était d’implanter un système immunitaire humain complet chez les souris et de les placer à l’air libre au contact des germes de l’atmosphère. Les souris ainsi « reconstruites » devaient en toute logique être défendues contre les infections. Alors, il serait possible de les infecter par le HIV. Le virus viendrait alors détruire les cellules T humaines qu’elles abriteraient et on se retrouverait avec une souris replacée dans son état immunitaire de départ. Si ce scénario s’avérait exact, alors on pourrait envisager de tester des traitements sur les souris SCID «humanisées» et infectées par le virus du SIDA.
Mike s’est arrangé pour se procurer des organes de fœtus humains décédés avant la naissance, des thymus, des ganglions et du foie, après avoir beaucoup travaillé pour obtenir les autorisations nécessaires à ces prélèvements. Ensuite, il a dû trouver des scientifiques capables de prélever les thymus, qui sont des organes très petits et difficiles à identifier chez les fœtus, et d’autres capables de placer ces organes sous la membrane qui entoure les reins des souris.
Tout le monde lui prédisait l’échec, y compris son patron, le professeur Weissman qui connaissait les résultats d’un essai similaire qui avait été fait pour tenter de reconstruire le système immunitaire de souris irradiées, sans succès. Néanmoins, pour ne pas l’influencer, Weissman ne l’a pas dit à McCune et celui-ci a pu réaliser ses essais l’esprit libre de cet échec ancien.
Dans un premier temps, onze souris ont été implantées et dix autres, non implantées donc dépourvues d’immunité, ont servi de témoin. Après l’implantation des onze souris, toutes ont été sorties de leur enceinte stérile pour être observées dans une atmosphère normale, pleine de germes. Pendant les quelques premiers jours les souris implantées ne se portaient pas bien et certaines semblaient même être près de la fin. Les souris témoin ne présentaient aucun signe de malaise visible. Et puis, petit à petit, les souris traitées se sont mises à aller mieux, jusqu’à devenir normales et à recommencer à prendre du poids. Du côté des souris témoin, au bout de deux semaines, on a commencé à voir apparaître des signes d’infection à Pneumocistis carinii, alors qu’aucune pathologie ne se faisait jour chez les souris implantées. Au bout d’un mois, toutes les souris témoin étaient mortes et toutes les souris essai étaient vivantes et en bonne santé.
Des études ultérieures ont montré que les souris greffées avaient effectivement donné naissance à des cellules immunitaires humaines et, à la grande joie des chercheurs, des cellules immunitaires des deux lignées nécessaires, la lignée B et la lignée T. A l’intérieur des ganglions, les cellules B fabriquaient des anticorps de façon normale et, couronnement de l’affaire, il a été possible de détecter chez les animaux une quantité notable d’une autre famille de cellules très importante dans la lutte contre le HIV, les macrophages.
McCune et ses amis venaient de créer une souris possédant un authentique système immunitaire humain.
Trois ans plus tard, j’arpente les couloirs de SyStemix, une startup fondée à Palo Alto, juste en dessous de l’Université de Stanford. Je suis venu voir « mes souris », ou plutôt celles de Mike, qui vont servir à tester notre produit antiviral.
Nous aussi, nous avons progressé dans nos travaux. Nous avons pu montrer que la substance active du galanga était présente dans un certain nombre de plantes. En particulier, les noix du cyprès en contiennent de grosses quantités et peuvent en constituer une source industrielle tout à fait acceptable. Nous avons déjà fait de nombreux tests d’efficacité de notre molécule et notamment sur des souris infectées artificiellement par le virus de la grippe, par un virus pulmonaire et aussi par le virus de l’herpès humain. A chaque fois, les tests ont montré que cette substance végétale était capable de protéger les souris contre l’infection virale de façon significative. Nous sommes maintenant sur le point de tester l’efficacité de notre produit sur le HIV dans un modèle animal.
L’antique science des plantes va rejoindre les concepts les plus futuristes de la pharmacologie.
A suivre… La prochaine fois : moins fort, mais mieux que l’AZT