Nous avons trente souris à notre disposition. Quarante souris SCID qui ont toutes retrouvé des défenses immunitaires normales grâce à l’implantation de « pièces détachées » provenant de fœtus humains. Selon l’appellation de Mike McCune, des souris SCID-hu. Je peux les voir s’ébattre dans les quatre cages qui les abritent : une cage pour dix souris. Toutes les souris sont dans un environnement normal, elle respire le même air que nous car elles sont protégées des infections courantes. Elles vont recevoir le virus du sida. Après une semaine, vingt souris seront traitées par injection de notre produit extrait du cyprès. Dix recevront de l’AZT dans leur eau de boisson et représenterons ce qu’on appelle un témoin positif. Les dix autres ne recevront que du sérum physiologique en injection afin de servir de témoins négatifs.
Je n’assiste pas à toutes les opérations, je retourne en France directement le soir même. L’aéroport de San Francisco est à peine à vingt minutes en voiture du laboratoire. Au cours du trajet, seul dans mon taxi, je me demande s’il n’y a pas une chose que nous aurions du faire et que nous aurions oublié. Je crains d’avoir lancé cette étude avant d’avoir mûrement réfléchi à son protocole. Son déroulement est tellement complexe que j’ai peur de ne pas obtenir de réponse correcte à la question simple : « ce produit est-il capable d’agir efficacement contre le virus du sida ? » Nous avons déjà des résultats solides qui montrent que cette molécule compliquée mais très répandue dans la nature est efficace sur tous les virus que nous avons testés, tous. Dans des éprouvettes, mais aussi sur des animaux et depuis peu, nous savons que le produit est actif sur l’herpès labial, grâce à une étude clinique menée dans le plus grand hôpital du Brésil et sur plus de cinquante personnes. Mais le doute subsiste et je ne parviens pas à m’en défaire.
Trois semaines plus tard, Mike m’appelle au téléphone. Il est à peine quatorze heures en France, ce qui signifie qu’il s’est levé très tôt selon son habitude. Je n’ose pas lui poser la question. Celle que je me pose depuis mon retour. J’essaie de faire de l’humour, façon Bug Bunny.
— So, what’s up doc ?
— Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle, me répond-il. Je commence par la bonne : le produit est actif.
Etrangement, je ne ressens rien, je reste complètement froid, sans doute parce qu’il y a un pendant à la bonne nouvelle.
— Et la mauvaise ?
— Seulement 20% d’efficacité si on compare à l’AZT.
— C’est ça la mauvaise nouvelle ? Je ne trouve pas que ce soit décevant pour un premier essai. Finalement, c’est une question de dose, non ?
— La dose est déjà considérable. On ne peut pas l’augmenter et nous sommes très au-delà de ce qui serait envisageable chez l’homme.
Ainsi, nous avions un produit faiblement actif mais capable d’agir sur de nombreux virus, peut-être tous les virus. Dans ce cas, il se pourrait qu’il ne génère pas de résistance.
La résistance aux antibiotiques est connue depuis leur découverte même. On sait que dans une population de bactéries, il y a toujours quelques individus qui sont armés pour lutter contre eux. Certains microbes génèrent des enzymes qui détruisent les antibiotiques et ils sont donc les seuls à survivre. Au cours du temps, les bactéries résistantes sont devenues de plus en plus fréquentes et représentent maintenant un véritable défi de santé publique. Il existe de plus en plus de germes capables de résister à tous les antibiotiques connus. Malheureusement, il en est de même pour les virus. En particulier pour celui du sida qui a l’originalité de se multiplier très vite et de faire des erreurs de copie fréquentes lors de sa multiplication. Ces erreurs facilitent l’apparition d’individus résistants. Mais il se pourrait que notre molécule végétale, capable de tuer apparemment n’importe quel virus, puisse conserver son efficacité en face de n’importe quelle mutation du HIV. Je réfléchissais activement pour savoir comment mettre cette éventuelle propriété en évidence. Mais Mike a interrompu mes pensées.
— On va laisser toutes les souris sans traitement encore pendant quelques semaines, me dit-il. Les souris protégées par l’AZT chez qui nous ne retrouvons pas de virus vont petit à petit recommencer à en présenter et on va voir les résistances se mettre en place. On verra bien ce qui va se passer pour votre produit.
Un mois plus tard, toutes les souris sont mortes sauf quatre. Les témoins négatifs sont morts bien sûr, le virus a détruit leurs défenses immunitaires implantées et ils sont morts d’infections apportées par l’air ambiant et la nourriture. Les témoins positifs, ceux de l’AZT sont tous morts aussi. Des virus résistants indétectables au départ à cause de leur trop petit nombre ont fini par proliférer et par détruire là aussi les défenses des animaux une semaine seulement après les témoins négatifs. Des souris ayant reçu l’extrait de cyprès, seize sont mortes, le produit n’ayant pas été assez actif pour détruire suffisamment de virus chez toutes les souris, ce que nous avions pu voir dès la fin du traitement. Par contre, quatre sont toujours là, saines et sauves. Ainsi, cette molécule si banale, présente dans toutes sortes d’espèces végétales est capable d’éradiquer complètement les virus, les résistants à l’AZT comme les sensibles. Mais seulement dans un nombre de cas limité. Autant dire rien.
Comme nous l’avions craint, les proanthocyanidines (c’est le nom de ce produit étrange), ne peuvent représenter un candidat sérieux comme médicament de maladies mortelles. Il pourrait s’agir d’un adjuvant à d’autres traitements et surtout, d’une voie de recherche très prometteuse pour trouver des molécules capables de détruire les virus sans induire de résistance et avec une intensité d’effet permettant de donner des doses raisonnables.