En 1984, quand je me suis rendu en Malaisie pour la première fois, le voyage de la capitale Kuala Lumpur à Kuala Trengganu, une petite ville du Nord située sur la mer de Chine, nécessitait un survol de la péninsule dans un petit avion à hélices qui ne volait pas trop haut. Pendant une heure et demie de trajet, on avait tout le temps d’admirer le tapis en mosaïque de verts de la grande forêt pluviale qui se déroulait en un tapis continu sous les ailes de l’appareil. Lors du dernier voyage que j’ai fait là-bas en 2003, les choses avaient bien changé : une immense plantation de palmiers à huile, parfaitement alignés avait remplacé la forêt primaire sur la totalité du survol.
On dit que des espèces animales et végétales disparaissent par milliers chaque année et que la biodiversité se réduit d’heure en heure. On dit aussi que le progrès n’est pas censé s’arrêter ou même ralentir et qu’il faudra bien nourrir et abriter les neuf milliards d’êtres humains qui vont incessamment occuper la surface de cette planète. Mais il y a aussi d’autres choses qui changent, et parmi elles la façon que nous avons de concevoir notre vie et le progrès, justement.
Au cœur de cette forêt vierge malaise, en 1984, il y avait encore des populations aborigènes qui ne connaissaient pas les transports en commun, le Vingt-heure et les Chocopops. Ils vivaient presque nus au sein d’un environnement hostile (comme le dit l’explorateur invité à « Connaissance du Monde ») et pour avoir un peu vécu avec eux, je dirais qu’ils étaient les gens à la fois les plus timides et les plus gais que j’aie jamais côtoyé. Facétieux, détachés, formidablement toniques et actifs, sans problème aucun de libido… Je n’essaie pas de ranimer le mythe du bon sauvage, parce qu’il y avait des gentils et des méchants chez eux aussi, et certaines de leurs manières me faisait parfois grimacer. Mais leur façon « d’exploiter » la nature n’avait rien à voir avec la nôtre.
Je suis venu chez eux pour découvrir leurs méthodes de soins et de prévention des maladies. J’avais remarqué que la petite tribu qui ne comprenait qu’une cinquantaine de personnes avait peu d’enfants, jamais plus de deux par couple, malgré l’âge précoce du mariage. J’ai eu beaucoup de mal à avoir des discussions suivies sur ce sujet, jusqu’à ce qu’il de vienne clair qu’ils utilisaient un moyen de contraception.
La limitation des naissances n’est pas quelque chose de courant chez les peuples traditionnels. L’enfant y est considéré comme une richesse plutôt que comme une charge. Pourtant, les tribus vivant de la chasse, de la pêche, de la cueillette et un peu du jardinage, ne peuvent pas assumer facilement de grandes familles. Au milieu de cette mer de végétation sans limites, la place se paie cher, au prix d’un défrichage harassant. De plus, leur mode de vie ne se satisfait pas de sédentarité. Après quelques mois de séjour, il faut se déplacer pour aller sur des zones encore vierges de récolte.
La plante qu’ils utilisaient n’a pas été identifiée. Il s’agissait peut-être d’une de ces nombreuses espèces qui attendent encore d’être nommées par les botanistes. J’en ai ramassé quelques kilos et nous avons fait des essais sur des rates sur lesquelles nous avons pu constater une diminution notable de la fécondité sans aucun effet nocif apparent. Mais une particularité était qu’aucun des animaux ne montrait de perte de fertilité. Il ne s’agissait donc pas d’une possible nouvelle pilule contraceptive, ou de pilule du lendemain. Il s’agissait simplement d’une plante capable de réduire le nombre des naissances sans les supprimer totalement.
Voilà une nouvelle façon de voir la conception qui ne peut en aucun cas s’adapter au monde occidental moderne. Ici, nous n’avons rien à faire de savoir que nous n’aurons qu’un ou deux enfants dans les trente années qui viennent. Nous voulons planifier, quantifier. Décider si nous en voulons avec le compagnon ou la compagne du moment, combien, et à quel moment.
Cette façon de gérer les naissances chez les aborigènes Semang était très caractéristique aussi de leur façon de se soigner. On essayait de compenser les troubles de façon globale, on travaillait sur la durée. Bien sûr, dans les cas sévères, ils étaient moins bien armés que nous. Pas d’antibiotiques, pas de traitements anti-cancéreux et une chirurgie quasi inexistante. Mais leur vision de la vie permettait d’optimiser le peu de connaissances et d’efficacité qu’ils détenaient.
Je pense qu’ils n’auraient pas bien saisi l’intérêt que nous pourrions trouver à prendre une pilule par jour pour stopper totalement la fécondité tout en perdant du poids et en supprimant son acné.
Triste disparition d aborigènes et de toute leur culture!!!
Envoyé de mon iPad
Merci pour ces belles histoires de plantes, un vrai rayon de soleil et de cellulose dans ces frimas hivernaux. Dr Patricia Hermouet la Rochelle